Au lecteur parcourant ces lignes, il peut sembler curieux d'évoquer, et même d'associer les termes d'exposition et collège. Des images plus ou moins anciennes rejaillissent, se télescopent. On parcourt d'une mémoire attendrie une salle de classe arborant quelques beaux panneaux sur feuilles canson aux titres en feutres et photocopies collées ou encore un cdi avec ses grilles d'acier qui, d'un équilibre précaire, affichent une exposition sur la . Ces deux évocations ne sont pas « à moquer », à réduire, les expositions auront toujours été le fruit d'un travail et d'une approche qui ouvrent les élèves au Monde. Ces façons d"exposition que nous nous remémorons, sont encore, le plus souvent, le quotidien de l'Education Nationale.
Il semblera peu probable au grand public que des œuvres originales puissent être proposées, confiées par un artiste, un collectionneur, un galeriste à un collège. Et pourtant, l'existence de ces quelques lignes attestent que cela existe, quand la volonté de plusieurs instances ont rendu possible le concept d'eroa (espace rencontre avec l’œuvre d'art) dans l'Académie de Lille, au début des années 90.
L'eroa est un espace d'exposition professionnel crée et confié à la programmation et gestion d'une équipe pédagogique dans quelques établissements de l'académie en collèges, lycées généraux et professionnels.
L'eroa est un espace demandé et porté par les enseignants de l'établissement qui le créent et le font vivre à raison de deux expositions par an.
L'objectif de ce lieu au sein de l'établissement est de permettre le partage et la découverte des œuvres par chacun des élèves et, au-delà des grilles du collège, par les parents et les écoles voisines désireuses de venir à la rencontre.
Rencontre étant le maitre mot du lieu, celui par qui tout existe et vers tout tend. Car il n'y a pas d'exposition sans la rencontre entre les enseignants demandeurs et l'artiste, le collectionneur, le galériste prêteur. Il faut de que la confiance, les dialogues naissent de personne à personne pour que les œuvres viennent se poser en hôtes sur « notre cheminée », à nos cimaises.
Rencontre, enfin, quand « l'oncle d'Amérique » présent en nos murs, tient salon pour livrer son récit, conter son histoire... Chaque œuvre prêtée est un peu comme un fils prodigue attendu et revenant, pour lui on se fait hôte.
Dans ce cadre, l'exposition : « Rêves peints... » est un voyage. Une prise sous ailes de Messieurs Stéphane Jacob et Benjamin Curtet qui ne sont pas de ceux qui disent non, ou simplement oui, mais ils écoutent, valident et accompagnent. L'enseignant émetteur auprès des élèves se trouve lui-même pris, guidé par des passeurs de passion, de savoir, d'humanité. L'enseignant n'obtient pas le contentement de ce qu'il désire, il entre en dialogue. Il ne prend pas en charge les œuvres, il les reçoit en dépositaire, il en reçoit le cœur, le message.
D'autant plus, et même davantage que pour d'autres œuvres, la culture aborigène nous « dés Hémisphèrise » de notre logique et quotidien, de notre rapport au Monde. Il faut poser ses valises culturelles et s'asseoir, se dire que là où la couleur chante, le point vibre, « je n'ai rien à reconnaître de commun » mais pourtant tout à voir. Il ne s'agit pas d'un art abstrait, décoratif, mais de toute une pensée du Monde, de la vie et que le possible d'un regard posé à la toile soulève le coin du voile, une mise en marche, en chemin.
Mettre en chemin, mettre en « culture » sont bien les enjeux de l'exposition. Messieurs Stéphane Jacob (galerie ) et Benjamin Curtet n'ont pas restreint le choix, n'ont pas simplifié le propos, ils ont fait confiance aux regards nouveaux promis, de classe en classe à la surface de la toile, à l'intelligence de ceux qui regardent. Tous deux prenant le public de l'exposition en chemin de leur vie pour les mener un peu plus loin au travers d’œuvres qui pas à pas tissent une première rencontre, un premier pas à la culture aborigène.
Par la géographie de l'eroa, cet espace au cœur de l'école, le sentiment n'est pas pour nos élèves d'être allés voir pour quelques uns mais pour tous d'avoir reçu chez soi. Les Rêves, les peintres au travers des toiles, habitent dès lors notre terre encore quelques jours, mais seront éternellement venus, rencontrés et non croisés.
D'autant que chaque élève par les cours d'Anglais, d'Arts Plastiques poursuit son rapport à la culture aborigène par ses propres créations, réflexions. Le chemin se poursuivra par delà la rencontre et le seul pari formulé est dans l'espérance que ce petit point de rencontre restera pierre de construction dans l'édifice de l'élève, conscient de l'Altérité et du possible de penser le Monde autrement.
Yann Stenven
professeur d'Arts Plastiques
collège Albert Châtelet, Douai